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lundi 3 septembre 2012

Mohamed Merah, un loup pas si solitaire



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Durant son voyage en Afghanistan et au Moyen Orient en 2010-2011, Mohamed Merah passe de nombreux coups de fil dans une trentaine de pays aussi improbables que la Bolivie ou le Bhoutan.

Mohamed Merah n'avait pas de téléphone à son nom. Pour échapper aux surveillances de la police, l'auteur des tueries perpétrées les 11, 15 et 19 mars à Toulouse et à Montauban s'en était procuré un à celui de sa mère, Mme Aziri. La liste des appels fait partie des documents confidentiels de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) transmis le 3 août aux trois juges de Paris chargés d'instruire le dossier.

Ces notes permettent de se faire une idée des liens que le djihadiste de 24 ans avait tissés à travers le monde, et elles mettent à mal l'argument avancé par l'ex-patron de la DCRI, Bernard Squarcini, selon lequel Mohamed Merah se serait "radicalisé seul" et qu'il n'appartenait "à aucun réseau" (Le Monde du 24 mars). Il semble que la police française n'ignorait quasiment rien du parcours du jeune djihadiste toulousain.
DES CORRESPONDANTS AU KENYA, EN CROATIE, EN BOLIVIE, AU BHOUTAN
Ainsi, l'une des 23 notes partiellement déclassifiées et dont Le Monde a eu connaissance, datée du 26 avril 2011, fait état de "1 863 communications relevées entre le 1er septembre 2010 et le 20 février 2011". Durant cette période, celui qui n'est encore qu'un apprenti terroriste effectue un voyage dans plusieurs pays du Moyen-Orient et en Afghanistan. Il passe notamment 186 appels à des correspondants installés hors de France, dans 20 pays différents.
Le détail montre que Mohamed Merah a joint vocalement ou par SMS 94 numéros de téléphones localisés en Egypte, où se trouvait son frère Abdelkader, en Algérie, où demeurent son père et une partie de sa famille, mais aussi au Maroc, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Côte d'Ivoire, au Kenya, en Croatie, en Roumanie, en Bolivie, en Thaïlande, en Russie, au Kazhastan, au Laos, à Taïwan, en Turquie, en Arabie saoudite, aux Emirats arabes unis, en Israël, et pour finir au Bhoutan, minuscule royaume enclavé en plein cœur du massif himalayen, où Mohamed Merah appelle neuf numéros.
Avec qui le petit voyou de la cité des Izards de Toulouse correspond-il à travers ces nombreux appels dans ces multiples pays ? Les enquêteurs de la DCRI ont sûrement identifié quelques-uns de ces interlocuteurs, mais les pièces transmises aux magistrats instructeurs, qui n'ont été que très partiellement déclassifiées par le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, n'en disent rien.
UN "COMPORTEMENT INQUIÉTANT"
Ces notes attestent également que le renseignement intérieur connaissait Mohamed Merah au moins depuis 2009, après s'être intéressé à son frère Abdelkader dès 2008. Abdelkader, 29 ans, mis en examen pour "complicité" et en détention provisoire à Fresnes depuis le 25 mars, mais aussi sa sœur Souad, 34 ans, étaient surveillés par les services. Les déplacements du premier en Egypte, où il suit des cours dans les écoles coraniques d'obédience salafistes, sont suivis à la trace. Ainsi, le 23 février 2011, les services allemands alertent leurs collègues français de son passage à l'aéroport de Francfort, en provenance du Caire et à destination de Toulouse. Même chose pour Souad, dont le départ pour Le Caire prévu le 30 novembre 2010 de l'aéroport Charles-de-Gaulle à Roissy est signalé à la DCRI.
Et, à cette occasion, Mohamed apparaît aussi sur les radars du renseignement intérieur. Mais ce n'est qu'en mars 2011, après son long voyage jusqu'en Afghanistan, qu'un dispositif plus serré est mis en place autour du jeune homme. Un fonctionnaire fait état d'une "surveillance au domicile de Mohamed Merah, 17, rue du Sergent-Vigné, appartement numéro 2, volets toujours fermés". Dans son compte rendu, le policier souligne que la mission a réussi : "Il a été possible d'identifier formellement la présence de l'objectif."
Durant cette période, les policiers ne lâchent pas leur "objectif". Ils le prennent en filature et prêtent une attention soutenue à sa téléphonie. Mohamed Merah a un "comportement inquiétant", estime l'un d'eux. "Le changement fréquent de boîtiers et de cartes SIM attribués à Mme Aziri (...) laisse supposer que la famille Merah souhaite brouiller les pistes", suggère un autre.
Visiblement, les fonctionnaires de police qui se sont collés aux basques de Mohamed Merah pendant plusieurs semaines ne doutent guère des orientations de leur client. "Le comportement prudent et suspicieux de Mohamed Merah influe sur sa famille", écrivent-ils, avant de préciser : "Le dispositif de surveillance dynamique engagé sur Mohamed Merah démontre qu'après une période de latence et d'observation, l'objectif amorce un rapprochement avec la mouvance salafiste toulousaine, en particulier avec [ici le nom est noirci pour préserver sa confidentialité] mais également et plus intéressant encore avec [là, deux noms sont noircis pour les mêmes raisons] tous deux partis récemment en Mauritanie." Cet extrait d'une note d'avril 2011 nuance la thèse défendue par la DCRI et son ex-directeur Bernard Squarcini au lendemain de l'assaut contre le terroriste, selon laquelle Mohamed Merah se serait "autoradicalisé en prison [en 2009], tout seul, en lisant le Coran" (Le Monde du 24 mars).
Lors de ses séjours à l'étranger, notamment en Afghanistan en 2010 et au Pakistan en 2011, Mohamed Merah a également fait l'objet d'une surveillance de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Aussi, plusieurs représentants des familles de victimes qui se sont constituées parties civiles ont demandé au ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, de mettre les documents confidentiels de la DGSE à la disposition de la justice. Selon nos informations, le ministère de la défense ne s'y opposera pas, dès lors qu'une demande des juges sera parvenue à l'hôtel de Brienne, siège du ministère, et que la commission consultative du secret de la défense nationale aura délivré un avis favorable.

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